Mme Catherine Tourigny est conseillère pédagogique de mathématique au primaire à la Commission scolaire de la Rivière-du-Nord. Alors qu’elle était professeure invitée à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), elle a enseigné durant deux ans le volet mathématique à la maîtrise professionnelle en orthopédagogie.
De retour dans sa commission scolaire, Mme Tourigny a voulu faire profiter son milieu de l’expertise qu’elle avait développée sur la démarche d’investigation des connaissances mathématiques développée par Jacinthe Giroux, professeure chercheuse à UQAM. Elle a donc proposé à cette dernière, et à ses collègues, de déployer un projet de recherche-action d’envergure, afin de valider les instruments d’évaluation des connaissances mathématiques impliquant des conseillers pédagogiques et des orthopédagogues des commissions scolaires des régions de Laval, des Laurentides et de Lanaudière ainsi qu’à ceux de la Commission scolaire de Montréal.
« Quand je suis revenue, je me suis dit que ce que l’on enseigne devrait rayonner au-delà de la maîtrise en donnant accès à certains éléments. On pourrait valider en partenariat avec des conseillers pédagogiques et des orthopédagogues, la démarche d’investigation des connaissances sur différents champs mathématiques […]. Je voulais en faire profiter les orthopédagogues. » ‒ Catherine Tourigny, conseillère pédagogique.
La recherche-action[1] s’est effectivement réalisée en deux temps. Neuf conseillères pédagogiques en mathématiques au primaire et en adaptation scolaire et seize orthopédagogues de huit commissions scolaires, quatre chercheuses, une coordonnatrice de projet et des assistantes de recherche participent au projet.
Le projet de recherche porte sur les pratiques évaluatives et les outils qui favorisent le développement des compétences de mathématique de manière à contribuer à la persévérance et à la réussite des élèves. Il englobe deux principaux objectifs : 1) bonifier quatre instruments originaux pour l’évaluation dynamique des connaissances mathématiques d’élèves identifiés à risque ou en difficulté; 2) structurer un dispositif d’évaluation pour chacun des trois cycles du primaire.
La démarche de recherche collaborative qui a été mise en œuvre a mené les participantes à se rencontrer en équipes thématiques. Chacune des quatre équipes était formée d’orthopédagogues, de conseillères pédagogiques en adaptation scolaire et en mathématiques issus de différentes commissions scolaires. Toutes les participantes se sont engagées avec détermination dans la démarche d’expérimentation et de validation des instruments auprès d’élèves. Ces expérimentations étaient menées en duo formée d’une orthopédagogue et d’une conseillère pédagogique.
« Tous les entretiens avec les élèves étaient analysés par l’équipe de chercheuses et étaient ensuite présentés aux participantes lors des séminaires en portant un regard croisé selon les intentions particulières de chacune. » ‒ Catherine Tourigny, conseillère pédagogique.
Les analyses réalisées en séminaires de recherche ont permis de raffiner les outils d’évaluation (nombre et structures additives, structures multiplicatives, numération décimale et rationnels) ainsi que de développer et valider des outils qui articulent chacun de ces sous-domaines arithmétiques par cycle de l’ordre primaire. Les allers-retours entre les séances d’expérimentation avec les élèves, les séminaires de recherche et les rencontres d’équipes thématiques ont favorisé les échanges, le déploiement du travail collaboratif ainsi que la réflexion sur la pertinence et la justesse des interventions, tant sur le plan de la démarche que celui des outils. Ce travail didactique s’est toujours réalisé en s’appuyant sur ce que les participants et participantes avaient vécu sur le terrain avec les élèves.
De plus, pour favoriser l’avancement des pratiques et la formation, Mme Tourigny a mis en place une communauté de pratique (COP) pour les orthopédagogues dans la Commission scolaire de la Rivière-du-Nord. Durant les trois premières années, elle a accompagné plus d’une cinquantaine d’orthopédagogues volontaires, une dizaine à la fois. Les membres de la communauté sont ensuite en mesure de travailler et de poursuivre leurs rencontres collaboratives de manière autonome en centrant leurs préoccupations et les discussions sur les élèves principalement par des études de cas.
« Lorsque la COP est terminée pour moi, elles [les orthopédagogues] poursuivent leur développement professionnel en poursuivant les rencontres entre elles. C’est un processus un peu particulier. Par exemple, la première année, je les vois cinq jours, la deuxième année, je les vois trois jours et la troisième année, je les vois trois demi-journées où je suis plus en observation et en rétroaction sur leur processus de travail collaboratif. Ainsi, elles deviennent des groupes autonomes et elles continuent à se rencontrer, mais sans moi. Elles présentent des histoires de cas en mathématiques et elles partagent des ressources. » ‒ Catherine Tourigny, conseillère pédagogique.
Par la structure qu’elle a mise en place, Mme Tourigny peut continuer à voir évoluer la communauté de pratique et à donner des rétroactions puisqu’elle prend le temps de consulter les comptes rendus des rencontres et répond aux questions des membres qui lui sont adressées sur le blogue de la plateforme interactive.
Les défis relevés sont multiples. La complexité et l’envergure du projet de recherche-action de même que les différentes séquences d’expérimentations, la préparation des séminaires et la fréquence des moments de réflexion (individuel, en équipe et avec les élèves) ont exigé un investissement très important en temps et en énergie de la part des orthopédagogues, des conseillers pédagogues ainsi que de l’équipe de recherche.
« La posture du CP est différente dans ce projet de recherche, j’ai l’habitude d’être en formation ou en accompagnement de personnes. Cette fois, on était vraiment côte à côte [elle et l’orthopédagogue]. C’était un défi parce que c’était nouveau, mais un bon coup en même temps parce que c’était une vraie collaboration. […] on apprenait ensemble, en complémentarité. » ‒ Catherine Tourigny, conseillère pédagogique.
Les mots de Catherine Tourigny pour parler des bons coups sont nombreux, mais elle précise que les compétences particulières sur l’intervention orthopédagogique en mathématiques développées par les orthopédagogues participantes ont particulièrement profité aux élèves puisqu’elles travaillaient directement avec eux, tout au long du projet.
« Des élèves ont bénéficié de ce projet de recherche. Ils étaient avec nous. Simultanément, en même temps qu’on développait et qu’on expérimentait, il y avait des élèves qui avaient des difficultés pour vrai et qui ont bénéficié d’une qualité d’intervention particulière. Pour moi, c’est très important de penser que ça ne reste pas au niveau de la formation. Les rétroactions immédiates de la part des élèves lors de nos interventions nous permettaient un réajustement rapide, les outils étaient intéressants, pour que les élèves évoluent rapidement. C’est ça qui nous disait de continuer. » ‒ Catherine Tourigny, conseillère pédagogique.
Dans le cadre de son mandat de formation des orthopédagogues en mathématique, et ayant développé une expertise sur le sujet comme professeure invitée, Mme Tourigny a utilisé les connaissances et les outils, d’abord développés par la chercheuse principale sur plusieurs années et, par la suite raffinés et validés par une recherche-action avec le milieu scolaire, dans les activités de la communauté de pratique qu’elle a fait évoluer au cours des dernières années. Les connaissances qu’elle a transmises portent autant sur les aspects théoriques que sur le processus de travail collaboratif.
« J’ai invité les orthopédagogues qui voulaient se perfectionner en mathématique à s’impliquer dans la communauté de pratique. […]. Le but premier du projet était la validation d’outils; maintenant, ce que l’on voit à la fin du projet, en participant au projet et par sa formule, ce sont toutes les connaissances qui ont été développées en didactique des mathématiques qui va bien au-delà des outils. Elles [les orthopédagogues] sortent avec tout un bagage de connaissances et d’expérience en interventions. Le projet a été vraiment formateur. » ‒ Catherine Tourigny, conseillère pédagogique.
Tout au long du projet de recherche, l’équipe de chercheuses a apporté toutes les connaissances théoriques nécessaires au développement de pratiques de qualités lors des formations ou au moment des séminaires et des rencontres d’équipe. La recherche-action a propulsé les participantes vers le développement de nouvelles connaissances pour l’amélioration des pratiques alors qu’elles parlent des outils.
« On n’attend pas à la fin du projet pour se dire ça marche ou ça ne marche pas quand tu travailles avec de vrais élèves. Tu le vois tout de suite si les élèves comprennent et tu vois les répercussions sur leur réussite. » ‒ Catherine Tourigny, conseillère pédagogique.
Le contenu mathématique investi dans le projet de recherche-action couvre le nombre et les structures additives, la numération de position décimale, les structures multiplicatives et les rationnels.
Mme Tourigny a décidé de mettre en place une communauté de pratique. Celle-ci évolue depuis trois ans pour former les orthopédagogues à la démarche qui a été développée dans le projet de recherche et qui est enseignée en profondeur dans le cadre de la maitrise en orthopédagogie à l’UQAM.
« Dans chaque commission scolaire, les gens ont décidé de faire quelque chose de différent. Il y en a qui ont développé des formations ou d’autres accompagnent certains orthopédagogues et aussi des enseignants de classe régulière. Différentes formules sont nées du projet. Comme tout le monde a développé des connaissances et selon les réalités de sa commission scolaire et les mandats de chacun [les activités dans les écoles] se sont multipliés même si le projet se termine. Il n’y a pas une commission scolaire qui ne fait rien avec ça. Ça se poursuit. » ‒ Catherine Tourigny, conseillère pédagogique.
L’accompagnement et la formation des orthopédagogues à l’intervention en mathématique par les conseillers pédagogiques dans les différentes commissions scolaires assurent la pérennité et prennent déjà différentes formes; celles-ci suscitent une participation qui implique aussi d’autres intervenants dans certaines commissions scolaires, en plus des orthopédagogues. Par exemple, des conseillères pédagogiques se servent des connaissances qu’elles ont acquises dans le cadre de la recherche pour former aussi des enseignants des classes régulières.
[1] Un projet pilote, financé par les commissions scolaires de la région LLL a été réalisé en 2013-2105. Le projet a ensuite été financé par le FRQSC de 2016 à 2019, dans le cadre du programme de recherche sur la persévérance et la réussite scolaires.
Commission scolaire de la Rivière-du-Nord
Personne-ressource :
Catherine Tourigny
tourignyc@csrdn.qc.ca